Légalisation du Bitcoin au Salvador : innovation ou régression ?
Le Salvador est le premier pays au monde à accepter le bitcoin comme monnaie légale, aux côtés du dollar américain. Est-ce une réelle innovation ou une régression ?
En juin dernier, le Salvador annonçait devenir le premier pays du monde à accepter le bitcoin comme monnaie légale, une monnaie qui allait, de fait, fonctionner aux côtés du dollar américain, alors que le pays poursuit son objectif de numériser les finances avec une population largement non bancarisée.
Si cette décision a suscité une vive controverse – avec notamment des manifestations assez violentes -, certains y voient là une étape absolument vitale vers des finances numérisées et une économie sans cash. Ce serait donc un très grand et profond changement qui s’annonce.
Pourquoi le bitcoin ?
L’objectif était d’aider à stabiliser l’économie du Salvador. Avec plus de 4 milliards de dollars qui arrivent depuis l’étranger chaque année, le gouvernement voulait permettre à ces étrangers qui envoient de l’argent de ne pas être ponctionnés. Utiliser le bitcoin est alors une option viable dans la mesure où il peut être transféré sans frais d’un pays à un autre puisqu’il a la même valeur partout dans le monde, bien que celle-ci fluctue sans cesse.
Lorsque la solution fut proposée par le Président Nayib Bukele, le parlement n’aurait discuté que cinq heures durant avant d’accepter cette loi, avec 62 voix pour sur 84. Il avait alors été décidé de laisser 90 jours passer avant que le bitcoin ne soit officiellement déclaré monnaie légale. Cela nous amenait au 7 septembre. Mais l’accueil fut finalement assez mitigé. Notamment à cause du raté de l’application mobile du gouvernement, Chivo, qui ne fut pas en mesure de supporter la charge d’utilisateurs. Apple et Huawei n’avaient par ailleurs pas ladite application sur leur store à l’heure dite. Une grande frustration d’autant plus que le Président avait promis 30 $ de bitcoin à chaque citoyen qui téléchargeait l’application.
Avant ce grand lancement, le Salvador avait acheté 400 bitcoins, pour 20 millions de dollars, ce qui avait aidé à propulser sa valeur au-dessus des 52 000 $ pour la première fois depuis mai. Quelques heures plus tard, il redescendait à 46 561,74 $. Et lorsque la loi est entrée en vigueur au Salvador, le bitcoin a plongé encore, sous les 43 000 $. À ce moment-là, le gouvernement a racheté 150 bitcoins supplémentaires, pour 7 millions de dollars.
Le bitcoin est-il la solution ?
Les monnaies numériques deviendront la norme, dans un futur plus ou moins proche, et ce, dans le monde entier. 70 % des Salvadoriens sont non bancarisés, sans aucun accès aux services financiers. L’adoption du bitcoin offrirait à ces personnes un accès à ces services, qu’ils n’auraient probablement jamais eu autrement. Il faut aussi prendre en compte la situation actuelle dans le monde et comment la pandémie a affecté les pays qui utilisent énormément de cash. En introduisant le bitcoin, non seulement les gens ont accès aux services financiers, mais ils peuvent aussi enrayer la propagation du virus puisque les transferts de cash – de la main à la main – disparaissent.
Le bitcoin étant reconnu et échangé dans le monde entier, les touristes peuvent aussi facilement se préparer. Ils n’ont pas à s’inquiéter du taux de change. Et si cette idée d’adoption du bitcoin devait arriver dans d’autres pays, le Salvador resterait le premier. Pour Matt Blom, directeur des ventes chez EQONEX, « les citoyens du Salvador portent désormais le drapeau de la crypto. Utiliser une monnaie numérique pour réaliser des transactions en dehors du système bancaire pour les activités du quotidien est un tournant décisif. »
Le bitcoin pourrait-il être un problème ?
Malgré les possibilités positives que pourraient amener cette nouvelle législation, il y a aussi des raisons de croire que cette loi ne va pas nécessairement dans la bonne direction. Avant son implémentation, le Salvador a pris contact avec la Banque mondiale pour préparer son pays au bitcoin. Celle-ci a rejeté la requête, par peur pour les impacts climatiques. Le bitcoin, comme toutes les crypto, a besoin de la blockchain pour fonctionner, et cela nécessite de consommer énormément d’électricité. Bill Gates déclarait d’ailleurs au journaliste Andrew Ross Sorkin que le Bitcoin « utilise davantage d’énergie par transaction que n’importe quelle autre méthode connue par l’humanité ».
Une autre inquiétude concerne, elle, le fait que de nombreux Salvadoriens n’ont pas de smartphone et ne peuvent, de fait, pas accéder à cette nouvelle application. Si le gouvernement ne fait pas tout pour rendre le service plus accessible, les pauvres resteront pauvres et ne pourront pas profiter de ces changements.
Celles et ceux en faveur de cette loi sur la crypto diront que 200 distributeurs de bitcoins ont été installés dans le pays, mais une fois le cadeau de 30 $ en bitcoin dépensé, pour les habitants qui n’ont pas de smartphone pour utiliser l’application, rien n’aura changé. Et c’est particulièrement vrai dans la mesure où, selon les statistiques de Trading Economics, seuls 33,8 % de la population du Salvador a accès à Internet, et parfois pas via une connexion fiable. Il semblerait donc que le Salvador ait fait l’impasse sur une étape importante de sa numérisation : faire de son idée une idée accessible.