Internet : 50 ans plus tard, Leonard Kleinrock regrette la trajectoire de son invention
Dans une tribune publié sur le LA Times, Kleinrock déplore ce qu'est advenu le réseau mondial centralisé, une "machine à fric" où circulent des malwares crées par des états — un état de fait qu'il est selon lui nécessaire de combattre.
Aujourd’hui, mardi 29 octobre 2019, marque les 50 ans de la première communication en réseau sur l’ancêtre d’Internet, ARPANET. Leonard Kleinrock est à l’origine de ce média qui a changé nos vies. Dans la salle 3420 de l’UCLA, l’Université de Californie à Los Angeles, il a supervisé le premier échange d’informations entre deux ordinateurs via un réseau, entre Charley Kline et le professeur Bill Duvall, installé sur sa chaise au Stanford Research Institute, à l’autre bout de la Californie. Les données transmises, “Lo” (les premières lettres du mot “login” avant que le réseau ne crash), permettaient de valider la preuve de leur concept, mais les trois hommes ne mesuraient pas alors l’étendu de leur invention, comme ils l’expliquent à Fast Company. Kleinrock, dans une tribune du LA Times revient cependant sur 50 d’histoire et regrette la tournure qu’a prit Internet.
La disparition de l’ethos de départ
Il explique que lors de la création du protocole d’échange,”l’ethos qui définissait la culture qu’ils bâtissaient était caractérisée par des mots tels que éthique, ouvert, sûr, gratuit, partagé” — s’ils ne savaient pas où mèneraient leurs recherches, ces principes phares les guidaient. Durant les 25 premières années de son existence, ces principes étaient partagés par la communauté des internautes. Autour de 1994, l’avènement des noms de domaines “.com” a permis de populariser le World Wide Web — c’est également l’année où Amazon a été fondée et, le 12 avril, le lancement d’un petit événement dont la signification est majeure : le premier “spam” mis en circulation sur la toile, visant à faire de la pub pour… un détergent. Kleinrock est amer quant au détournement d’Internet pour réaliser des profits.
Des problèmes critiques
“Alors conviviale, la communauté en ligne s’est transformée en une de compétition, d’antagonismes, d’extrémismes” écrit-il. “En fournissant à tout un chacun les moyens de communiquer de façon instantanée auprès de millions de personnes pour peu d’argent et de façon anonyme, poursuit-il, nous avions créer sans le vouloir la formule idéale pour que la partie “sombre” se répande comme un virus partout dans le monde. Aujourd’hui, plus de 50% des emails sont des spams, mais des problèmes plus critiques sont apparus : notamment les attaques par déni de service qui peuvent paralyser des institutions financières capitales, et des botnets qui peuvent fragiliser des secteurs dont l’infrastructure est essentielle.”
Il regrette enfin que des états-nations soient devenus des acteurs dangereux d’Internet, autour de 2010 lorsque le malware Stuxnet est apparu. “Le crime organisé a compris qu’Internet pouvait être utilisé pour du blanchiment d’argent, les extrémistes comme un mégaphone pour propager leurs idées radicales. L’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, la reconnaissance faciale, les données biométriques et autres technologies avancées pouvaient être accaparés par les gouvernements pour affaiblir les institutions démocratiques.”
Des recommandations bienvenues
Pour Kleinrock, les citoyens doivent demander à leur gouvernants de juger et légiférer les abus tels que les cyberattaques, les fuites de données et le piratage. Ils doivent pousser les sites à rendre des comptes : “Quand est-ce qu’un site vous a demandé pour la dernière fois quelle politique de traitement des données vous souhaitez ?” demande-t-il. Nous devrions avoir la possibilité de rejeter les sites qui contreviennent à nos exigences en matière de confidentialité. Enfin, il suggère que les scientifiques doivent travailler à des méthodes de chiffrement pour protéger la vie privée des individus lorsque des personnes malintentionnées utilisent des bases de données dérobées ; il évoque également la blockchain en tant que registre décentralisé plein de promesse, selon Kleinrock. “Si nous travaillons ensemble pour mettre en pratique ces changements, peut-être est-il possible de retrouver l’Internet que j’ai connu” conclut-il.